Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures

Publié le par La fée Paradis

Oncle Boonmee

de Apichatpong Weerasethakul


Lung Boonmee Raluek Chat / Thaïlande / 2010 / 110’/ couleur / vostf

Avec Thanapat Saisaymar, Jenjira Pongpas et Sakda Kaewbuadee

 

 

Le Méliès a dit

 

Certaines Palmes d’ Or divisent et font débat.

Les films de Apichatpong Weerasethakul (cinéaste exigent et radical) sont de véritables curiosités cinématographiques qui font toujours parler d’elles. Le cinéaste thaïlandais a été accueilli au Festival de Cannes en 2002 avec son étrange et sublime Blissfully Yours, premier long métrage récompensé par le Prix Un Certain Regard. Deux ans plus tard, il y décrochait le Prix du Jury avec le non moins critiqué et troublant Tropical Malady, où un jeune soldat plongeait dans la moiteur de la jungle à la recherche de son amant.

Cette année, la Palme d’Or qui l’a récompensé conte les derniers jours de la vie d'un homme hanté par les fantômes de sa vie passée, ne fait pas exception à la règle. Il n’est de meilleure approche d’un film d’Apichatpong Weerasethakul que d’ouvrir les yeux et de se laisser envahir et envoûter par l’étrangeté, la poésie, l’allégorie et les mystères qui parcourent son oeuvre.

 

 

Oncle Boonmee1

 

Télérama a dit

 (Pour compléter ma critique artistique)

 

Pour (frimousse hilare)

 

Pour La Palme d'or du festival de Cannes devrait, on croise les doigts, inciter les cinéphiles à découvrir le réalisateur thaïlandais de Tropical Malady et de Blissfully yours. Parmi les nombreuses bizar­reries charmantes qu'Oncle Boonmee... leur réserve, l'une gagne à être évoquée d'avance : le calme. A l'opposé de celui de la ­quasi-totalité de la production actuelle, le rythme paisible du film serait plutôt ­celui que tout le monde rêve de faire sien, sans l'oser. C'est un calme synonyme de dis­ponibilité absolue, d'extralucidité.

 

Un superpouvoir. L'oncle Boonmee du titre est à la fois très faible (il va mourir d'insuffisance rénale) et très puissant. Peut-être en vertu de l'échéance qui l'attend, il possède le don de voir et de faire voir l'invisible, de communiquer avec les morts, de les reconnaître derrière leurs avatars les plus inattendus. Une scène incroyable montre la reconstitution de sa famille dissoute, une nuit sur la terrasse du grand malade, au milieu de son domaine dans la jungle - il est agriculteur et apiculteur. Devant les quelques proches attablés, voici l'épouse défunte de Boonmee, translucide comme un hologramme, qui prend part au dîner. Puis un superbe singe noir aux yeux rouges lumineux, en qui Boonmee retrouve son fils disparu.

 

Il est possible que cette scène ait, à elle seule, fait chavirer le coeur du jury présidé par Tim Burton. Elle est d'une simplicité bouleversante, comme en art brut, et, en même temps, d'une sophistication très mystérieuse. Les deux apparitions semblent renvoyer à des croyances différentes, et leur succession laisse pantois. L'épouse suggère que les êtres subsistent après la mort comme de pures âmes, débarrassées de la chair. Le fils, mi-animal sauvage, mi-extraterrestre, témoigne, au contraire, d'une réincarnation. La première évoque les tout premiers trucages de cinéma, le second rappelle à la fois La Belle et la Bête, de Cocteau, et La Guerre des étoiles. Mais le plus extraordinaire est bien la douceur qui accompagne ces doubles retrouvailles : tout est normal, si l'on ose dire.

 

Apichatpong Weerasethakul s'inspire du livre d'un moine bouddhiste sur la réincarnation, doctrine très répandue en Thaïlande du Nord, où est située l'histoire. Le merveilleux se déploie, donc, sans surlignage, entre deux scènes réalistes : les vies antérieures de Boonmee lui reviennent impromptu à l'esprit, comme on passe d'une pensée à l'autre. A-t-il été ce buffle solitaire, s'évadant dans la forêt ? Ce poisson-chat très phallique qui console et drague une princesse défigurée au bord de l'eau ? Boonmee a-t-il été cette princesse ? On sait que le cinéaste voulait retrouver le style des feuilletons en costumes qu'il regardait, enfant, à la télé, et, à l'évidence, les vies antérieures du personnage croisent les rêveries savamment érotiques du petit Joe (surnom d'Apichatpong) et les avatars qu'il s'était lui-même fabriqués.



A l'article de la mort, l'esprit de Boonmee transcende la finitude humaine : il dit même « se souvenir du futur ». D'étranges portraits d'adolescents soldats, au sourire dérangeant, défilent alors, possible écho de la guerre civile qui gronde en Thaïlande. Dans ce cinéma de démiurge, l'inquiétude est filtrée par l'imaginaire. Toutes les dimensions de la vie - et de la mort - trouvent une place, mais jamais celle qu'on attend. C'est ainsi que la dernière partie, après les funérailles de Boonmee, semble marquer un retour à une certaine rationalité : les proches bavardent dans une chambre d'hôtel, la fantasmagorie paraît loin. Or, soudain, ce ne sont plus des vies antérieures qu'on aperçoit, mais des vies parallèles. Certains personnages se dédoublent. De même que le neveu du défunt est devenu moine pour quelques jours, on peut être soi et un autre, être là et ailleurs, hier et aujourd'hui. Le cinéma délicat d'Apichatpong Weerasethakul fait tranquillement éclater l'espace-temps.



Louis Guichard

 

 

Contre



Aimer le cinéma, c'est aimer les fantômes. Avoir appris à entretenir avec eux une proximité naturelle. Comme la Madame Muir de Mankiewicz, la Pandora d'Albert Lewin, ou même le potier des Contes de la lune froide après la pluie de Kenji Mizoguchi, qui se rendait compte que sa femme n'était qu'une projection de son imagination - un spectre. Qu'y a-t-il, alors, de si exceptionnel quand Apichatpong Weerasethakul invite à table l'épouse décédée et le fils réincarné de l'oncle Boonmee ? Que, pour ce faire, il convoque l'histoire du cinéma (trucages à la Méliès ou hommes-gorilles des films de SF des années 1950) n'a rien de neuf non plus. Pas une minute, on ne se sent touché par cette évocation d'un cinéma fait de bric et de broc. Le « tout est normal » confine au «tout est banal ». Pareil pour l'idée de réunir, lors d'un même dîner, deux croyances (en l'âme et en la réincarnation) : oui, et alors ? On peut, donc, finir en fantôme ou réincarné dans un animal sauvage. On choisit ? C'est la loterie ? Pas de réponse...

  

 Comme ces vies antérieures dont se souvient le vieil homme malade : on voudrait tant qu'elles nous captivent ! Mais non ! L'oncle a peut-être bien été ce buffle pai­sible, en ouverture du film, mais on n'a pas envie de se poser la question devant ces images à peine plus mystérieuses que ­celles d'un documentaire animalier...

 

Dans Blissfully yours et Tropical Malady, ses films précédents, le jeune cinéaste thaïlandais avait su nous tendre un miroir vraiment magique. Son cinéma était hermétique ? On l'acceptait, tant il était une invitation au voyage, avec ses monstres, sa moiteur, ses métamorphoses. Le bizarre était beau, la beauté toujours bizarre. Divi­sés en deux parties, ces films basculaient du naturalisme au vaudou sans crier gare : on était inquiet, captivé. Une fois encore, le cinéaste a cherché à opérer la fusion entre le réel et l'imaginaire. Mais, cette fois, le mélange ne prend pas...

 

 

Dans Mulholland Drive, David Lynch brouil­lait les pistes pour mieux nous hypnotiser : il réussissait à nous faire prendre les rêves d'une morte pour la réalité. Apichatpong Weerasethakul, lui, n'éclate pas l'espace et le temps, il les aplanit, les affadit. A l'image de la séquence finale, où le jeune neveu devenu moine se dédouble : il reste devant la télé tout en partant dîner au karaoké. Si c'est ça, être ici et ailleurs...



La seule séquence vraiment troublante est celle de la princesse défigurée et du poisson-chat. L'image, scintillante, diaprée, devient belle, soudain. Le cinéaste ne craint pas d'y frôler le ridicule, et tant mieux : enfin une prise de risque ! Enfin, de l'émotion ! Car, en définitive, quel est ce calme prétendument génial dans la mise en scène, que nombre de spectateurs associeront à un ennui profond ? Et si c'était celui d'un démiurge trop sûr de son fait ? Apichatpong Weerasethakul ne voit pas l'utilité de nous expliquer son monde. Il nous laisse dehors. La preuve : vers la fin apparaissent certaines photos d'adolescents, dont on peine à comprendre le sens. Inutile de chercher. Ce sont des photos de tournage qu'il a incluses pour satisfaire sa propre mémoire, façon journal intime. Pour pouvoir, comme oncle Boonmee, se souvenir, plus tard, de ses vies antérieures ? Décidément, il ne faudrait pas que le talent d'Apichatpong Weerasethakul tourne à la vanité.



Guillemette Odicino



  

 Que dire de plus ?

 

Oncle-Boonmee2.jpg

 

 

Je vous le dis tout de suite, c'est un film d'artiste, et je n'ai pas tout compris, loin de là (comme Pépé et les critiques de Télérama d'ailleurs).

Pour moi, le réalisateur manie les contrastes et perd le spectateur dans un monde dont il ne maîtrise ni les codes, ni la logique : 

- hyperréalisme (dialyse en direct) et fantastique (fantôme et réincarnation),

- nature calme (charme bucolique d'une exploitation agricole et apicole au milieu de la jungle et proche de la montagne) et oppressante (bruit permanent du vent dans les branches),

 - nature brute (jungle, grotte et chutes) et intérieurs urbains aseptisés tout aussi oppressants et désagréables (chambre d'hôtel et bar karaoké),

- kitch et profondeur des croyances bouddhistes et des croyants (entre le calme et l'éveil de Boonmee et les girlandes électriques clignotantes des cérémonies),

- limière sombre dans la nature et trop hallogénée dans les intérieurs urbains (ces deux éléments renforcent l'aspect inquiétant du film).

 

Oncle-Boonmee3.jpg

 

 

 

  Le brouillage des repères temporels m'a aussi beaucoup questionné. Les flash back dans le passé lointain (buffle en fuite et princesse défigurée au bord des chutes) sont  des souvenirs du vieil homme malade ? Et qu'est-ce que ces visions d'avenir inquiétantes un peu guerrières, le futur ? Elles font justement échos à une phrase énigmatique prononcé par l'oncle Boonmee.

D'ailleurs, il y a peu de paroles, mais ils s'agit de paroles énigmatiques, sauf celles qui évoquent la quotidienneté la plus prosaïque. Certains messages ont trouvé un echo en moi (repression des communistes, pesticides dans les champs) mais peut-être que ces dialogues sont comme une auberge espagnole : chacun y trouve ce qu'il y amène.

 

En tout cas, j'ai compris une chose : pourquoi les régimes asiatiques traditionnels génèrent moins de cancers et de maladies cardio-vasculaires liés à l'environnement que le notre. Les personnages sont d'un calme olympien et acceptent la vie comme elle est (maladie, apparition d'un fantôme ou d'un Chubaka en chair et en os, spéléologie surprise sans le moindre équipement avec un vieil homme malade et une vieille femme handicapée...) et ils ne passent pas leur temps à se baffrer de trucs gras et lourds comme nous à la cidrerie d'Ascain samedi soir (un repas de retrouvailles est composé de riz cantonnais et de poivrons sautés thaï, un exemple à suivre !).

 

 Même si je n'ai rien compris, je suis restée oncentrée jusqu'au bout. Ce n'est vraiment pas un navet. Mais je ne pense pas revoir ce film un jour. Et il ne m'a même pas donné envie d'aller en Thaïlande tellement tous ces lieux me paraissent inhospitaliers.

 

A voir pour se faire sa propre idée, comme toutes les palmes d'or d'ailleurs.

 

 

Ma note : 3,75/5

 

 

 

Publié dans Ciné

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N
<br /> <br /> Oula, ça a l'air space... Je ne sais pas si je pousserai la curiosité jusqu'à visionner cette oeuvre...<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Ben je ne sais pas trop quoi te conseiller pour le coup. Peut-être que vous verriez la Thaïlande sous un jour nouveau ...<br /> <br /> <br /> <br />
V
<br /> <br /> Très intéressant article où tu as le courage de dire ce que tu penses malgré l'aura cannoise de ce film. Merci.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> J'avoue que je ne comprends pas qu'il ait pris la tête du top interblog du mois d'août (même si comme je l'ai dit ce n'est pas du tout un navet du fait de la beauté plastique effrayante des<br /> images). Il reste quelques mois pour rétablir la vérité !<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> <br /> sincèrement j'ai détesté et c'est un des pires films que j'ai vu cette année. La fond est peut-être touchant (je peux comprendre) mais la forme est insupportable. Le fait que ca soit lent n'est<br /> pas le problème majeur (quand je suis allée voir ce film, je savais très bien que ca n'allait pas etre des plus actifs), mais c'est pas captivant, tout ce que je voulais, c'était que le fameux<br /> Boonmee meurt pour de bon, c'est pas émouvant, pas attachant, la mise en scène est franchement très bof (ca veut faire genre que c'est maitrisé mais j'ai pas trouvé que c'était le cas), c'est<br /> même pas bien joué, et je tiens à rappeler que la scène du poisson est quand même une scène de viol (le réalisateur le dit lui-même) et je comprends pas comment on peut enjoliver certaines de ces<br /> choses.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Je ne me suis pas ennuyée car les images étaient belles et le bruit du vent un peu captivant, mais c'est une expérience spéciale ce film. Personne ne comprend rien. Peut-être comme Antonioni à<br /> son époque, la beauté plastique porte le spectateur plus que le scénario ? A moins que les deux ne soient éminament liés, toute une question cinématographique à laquelle je suis bien incapable de<br /> répondre.<br /> <br /> <br /> Concernant la scène de viol par un poisson chat (oui ça peut paraitre bizarre pour ceux qui n'ont pas vu le film), j'ai ressenti le potentiel de violence érotique mais j'avoue ne pas avoir été<br /> plus choquée que ça (attention, ça ne veut pas dire que personnellement, je défends cette pratique, bien au contraire). Comme je n'ai pas compris l'enchainement des évènements, j'ai surtout été<br /> touchée par la détresse de cette princesse qui donnerait n'importe quoi pour être belle. Par contre, tous les paysages, y compris celui des chutes où se déroulent cette scène, semblent peu<br /> accueillants.<br /> <br /> <br /> Si je dois retenir un truc, c'est que les paysages naturels du film n'ont rien de bucolique et qu'il met en scène une nature sauvage et violente qui dépasse l'homme et ses activités.<br /> <br /> <br /> Après, je ne mme suis pas autant ennuyée que toi et je n'ai pas detesté Boonmee à ce point, mais comme je l'ai écrit, je ne reverrai certainement jamais ce film (ni peut-être aucun autre du<br /> réalisateur). Et je rajouterai que sa place à la tête du top interblog me parait injustifiée. Peut-être que nos notes permettront de le faire décendre.<br /> <br /> <br /> <br />