MAUS d'Art Spiegelman
Je ne me souvenais pas de la portée humaniste de ces BD lues une première fois il y a longtemps. Art Spiegelman a travaillé dessus pendant des années : il s'agit de la mise en forme des souvenirs de son père, rescapé d'Auschwitz, et des siens, enfant né en 1948 de deux rescapés dont la mère s'est suicidé et qui a grandit dans le souvenir d'une famille et d'un frère exterminés en Pologne avant sa naissance (psychologiquement c'est plutôt lourd à porter).
Cette mise en forme est originale et très bien trouvée : les juifs (et les gentils) sont des souris et les nazis (et les méchants) sont des chats (mais pas des mignons chatons, des gros matous cruels). Belle métaphore pour illustrer la lutte pour la survie d'un polonais juif de 1939 à 1945, en tant que prisonnier de guerre puis dans les ghettos, et enfin dans les camps de concentration.
Malgré le thème, pas de pathos, de larmes et de sensiblerie dans cette BD. Le scénario alterne les dessins du passé (souvenirs du père avec des conversations et une voix off pour décrire les situations) et ceux du présent (souvenirs du fils qui se sent oppressé et culbabilisé par son père; malgré l'affection qu'ils ont l'un pour l'autre, les deux ne se comprennent pas).
Le présent montre Vladeck, le père, comme un vieil homme normal : geignard, radin, raciste et intolérant (si,si) qui se dispute sans arrêt pour des détails sans importance avec sa deuxième femme, rescapée elle aussi. Et c'est, à mon sens, cet apect qui donne encore plus de portée humaniste à la BD. Les êtres humains sont bourrés de défaut et ne tirent pas de leçons du passé (même de leur propre expériences), pourtant, l'horreur du génocide et des entreprises de deshumanisation est intolérable.
On voit aussi comment des gens "normaux", bon pères de familles, bons employés et bons voisins ont pu se compromettre dans l'inhumanité, par des petits gestes et des petites actions qui semblent banales et sans gravité.
La lecture de Maus ne laisse pas indemne, surtout en période d'exacerbation d'idées sécuritaires dangereuses et de stigmatisation des minorités. Attention, Messieurs Sarkozy, Hortefeux et Guéand, il est des spectres qu'il vaut mieux ne pas trop agiter, il s'agitent déjà assez bien comme ça, tous seuls, au quotidien.
Notes
1- Mon père saigne : 18,5 /20
2- Et c'est là que mes ennuis ont commencé : 18/20