Les trois singes

Publié le par La fée Paradis

Allociné a dit

Une famille disloquée à force de petits secrets devenus de gros mensonges, tente désespérément de rester unie en refusant d'affronter la Vérité. Pour ne pas avoir à endurer des épreuves et des responsabilités trop lourdes, elle choisit de nier cette Vérité, en refusant de la voir, de l¹entendre ou d'en parler, comme dans la fable des "trois singes". Mais jouer aux trois singes suffit-il à effacer toute Vérité ?




Utopia a dit


C’est l’essence même du cinéma. Parvenir à partir de rien ou presque rien à construire un récit, mais aller aussi au plus profond de l’âme humaine. À partir seulement de quatre personnages : les trois membres d’une famille et un intrus par qui la famille va se détruire (pour se reconstruire ?), un classique de la tragédie, mais aussi une vision pasolinienne de la famille avec un niveau difficile à égaler depuis le Théorème du maître italien. À vous de juger, mais selon nous, l’intrigant réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan y est peut être arrivé. Côté lieux, ils se comptent aussi sur les doigts d’une main, avec une bonne partie des passions qui se concentrent dans l’appartement familial exigu, étrange endroit coincé entre une voie ferrée au roulis omniprésent et la mer, vers lequel le regard s’évade.
Quant à l’intrigue elle est aussi réduite à une épure cinglante : Eyglu, chauffeur d’un homme politique, se voit proposer par son patron un marchandage à risques. Il doit accepter d’endosser à sa place la responsabilité d’un accident de voiture, accepter d’être incarcéré à sa place pendant quelques mois et recevoir en échange une coquette somme d’argent. Après qu’il ait accepté cette proposition qu’il ne pouvait pas vraiment refuser, les choses ne tournent pas forcément comme prévu, le patron profitant de l’absence du mari pour séduire la femme et ce face à l’apparente indifférence d’un fils étudiant raté qui préfère nier l’évidence dans un premier temps pour conforter sa minable existence.

Vous me direz que sur le papier, tout cela a l’air bien sinistre et peu engageant mais c’est sans compter avec la mise en scène éblouissante de Nuri Bilge Ceylan à qui l’on devait les déjà très impressionnants Uzak et Les Climats. Car le réalisateur turc sait admirablement filmer et rythmer l’inexorable déliquescence de la famille qui, à force de secrets et de mensonges, s’enfonce dans une situation inextricable. Les trois singes du titre, ce sont les trois piliers de la sagesse confucéenne : ne pas entendre le mal, ne pas le voir, ne pas en parler, trois commandements que les membres de la famille s’emploient à respecter… précipitant ainsi leur auto-destruction. D’ailleurs les protagonistes parlent très peu, leurs tensions, leurs secrets, leurs rancœurs restent bien enfouies. La caméra, souvent au plus près des corps, saisit l’imperceptible à travers les regards, les expressions des corps, témoignant d’une qualité de lumière et d’un sens du cadre rarement atteints, le tout servi par un travail bressonnien du son. Les personnages vivent à côté de leurs vies, projetant des espoirs dont on sait qu’ils seront déçus. Et on sent l’inévitable prêt à arriver à tout moment en guise de point d’orgue d’une tragédie antique aux accents fassbindériens. En filigrane, il y a aussi la place de la femme (magnifiquement incarnée par Hatice Aslan, qui a la stature d’une tragédienne antique) dans la famille turque, femme qui, quand elle sort de son rang, le fait avec une passion déraisonnable et excessive qui la conduit vers une fin tragique probable. Une passion qui dévaste tout mais qui fera peut être exploser les carcans qui enfermaient chacun dans son simulacre de vie.

Que dire de plus ?

Ce qui m'a le plus marqué dans ce film c'est sa capacité à faire passer des émotions fortes et complexes dans des images lentes et simples .

Le cercle vicieux qui s'installe progressivement n'en est que plus pesant. La chaleur opressante et l'aspect malsain de la métropole stambouliote renforcent cette sensation, malgré la présence permanente de l'eau (Bosphore, mer de Marmara?).

Ce n'est pas vraiment film qui donne la patate mais j'en suis sortie ravie et encore plus bavarde !


Sculpture de Hidari Jingoro au sanctuaire Tōshōgū à Nikkō (Japon)

Publié dans Ciné

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